La nouvelle à chute
La nouvelle à chute constitue un genre à part dans la nouvelle. Ici, l’auteur essaye d’induire délibérément en erreur son lectorat afin de le surprendre totalement par une chute inattendue. Pour cela, il peut disséminer dans son texte deux catégories d’éléments : les leurres et les allusions discrètes. Les leurres ne sont pas vraiment des mensonges mais ils vont orienter l’impression du lecteur vers des suppositions automatiques. Ces leurres sont choisis méticuleusement et lors d’une relecture, force est de constater qu’il n’y a pas de tromperie sur la marchandise. Les allusions discrètes peuvent être comparés à des appels de phares qui tentent d’attirer l’attention sur la réalité. Un exemple concret pour illustrer ces deux points : jeme souviens d’une nouvelle à chute de Jeffrey Archer qui semble raconter l’histoire d’une relation sentimentale entre une femme et un homme dans un pub dont le nom est « The cat and the whistle ». Juste à la fin de la nouvelle, on se rend compte que la narratrice était une chatte qui a en fait séduit l’homme qui va l’adopter. Les leurres étaient entre autres « le manteau de fourrure que ma mère m’a légué » et « soigner mes ongles » (en anglais griffes et ongles sont un même mot (nails)). Le nom du pub constituait l’appel de phares puisqu’il contenait le mot chat en anglais.
Parfois, il est possible d’obtenir un effet de surprise avec un leurre invisible qui se confond avec l’intention de l’auteur. Imaginons un texte relatant l’amour d’une biche et d’un faon, les soins maternels, un vocabulaire pastoral, un cadre idyllique. Juste à la fin, en une phrase courte, un chasseur tue les deux animaux. Cela produit un effet de surprise en rupture totale avec le reste du texte.
Les meilleures chutes sont celles qui se résument à une courte phrase à la fin. Plus la phrase est courte et percutante, plus la chute claque sec comme un coup de fouet, plus le coup de marteau sur la tête du lecteur – ou le frisson ressenti – est fort. L’avantage énorme pour les amateurs du genre est qu’une nouvelle à chute peut offrir un excellent ratio entre le temps investi et le plaisir retiré. Le but de la chute est souvent d’inviter à une relecture et à une réinterprétation du texte.
Un lecteur intéressé par l’exercice de la pensée critique accepte de se voir confronté à ses préjugés (tiens, c’est une femme qui pilotait l’avion ? Je n’y avais pas pensé ; pourquoi avais-je automatiquement présumé qu’il s’agissait d’un homme ?) et peut en tirer profit pour raffiner son jugement.
Le seul inconvénient est qu’il est virtuellement impossible d’écrire un recueil exclusivement composé de nouvelles à chute. En effet, il est aisé d’imaginer qu’une lectrice ou qu’un lecteur plusieurs fois surpris ou pris en flagrant délit de préjugé soit de plus en plus sur ses gardes au fil des nouvelles d’un tel recueil et que tôt ou tard, une fin devinée annulerait l’effet de surprise.