MA SOIRÉE AVEC EMMA
Emma Thompson m’avait époustouflé dans « Sense and Sensibility » (et d’autres films). Je l’avais trouvée si PARFAITE, si séduisante lors de son discours d’acceptation de l’Oscar pour le meilleur scenario de ce film. Mais hier soir, j’ai reçu un coup de marteau sur la tête en regardant « My Lady ». Bien sûr, la double oscarisée joue vraiment très bien mais dès les premières images du film j’ai été très surpris car, semble-t-il, je n’avais pas mémorisé qu’elle avait au moins dix ans de plus que moi. Par souci d’objectivité, j’ai vérifié sur Wikipédia. Elle est plus jeune que moi. Boum ! Grossière erreur d’appréciation de l’âge d’une personne. Prends ça dans ta gueule, homme de peu de jugement ! Pas très satisfait de la fiabilité de mes sens, je commence à leur chercher des excuses. Devinez les premiers mots clés qui me soient venus à l’esprit et que j’ai tapés sur Google afin de justifier mon erreur ? « « Emma Thompson » cigarette OR smoking ».
Bingo ! Foudroyée du regard par les convives pour avoir allumé une cigarette dans un restaurant newyorkais, une cigarette partagée avec Pierce Brosnan entre deux scènes, une photo d’elle avec du tabac à rouler, etc. Plus de doute. Je me sens tout de suite beaucoup mieux. Cette erreur d’appréciation n’est pas vraiment de ma faute, enfin si quand même, mais disons qu’il s’agissait d’un oubli. Mes masculins neurones parfois trop inclinés à tirer des conclusions hâtives avaient tout simplement zappé la possibilité que cette femme toute auréolée du piédestal que j’avais glissé sous ses pieds soit une fumeuse. En fait, je n’ai pas vraiment d’excuses dans la mesure où je possède une collection de photos de sœurs jumelles dont l’une est fumeuse et l’autre pas et je sais pertinemment à quel point le tabagisme vieillit la peau. Dans un accès de malsaine violence mentale, je me suis mis à penser qu’avant de passer devant la caméra, elle s’est faite maquiller pour réparer de l’herbe à Nicot l’irréparable outrage et j’ai commencé à imaginer son visage au réveil, sans maquillage. Genre Johnny dans cette scène de « Jean-Philippe », où il apparait sans fard, car parfois, je n’y vais pas avec le dos de la cuillère.
Mais alors, pourquoi autant de violence mentale ? Et moi-même, d’ailleurs, n’ai-je pas fumé pendant des décennies jusqu’à cette ultime victoire il y un quart de siècle déjà ? Pourquoi percevoir les autres à travers le prisme de mon imperfection d’antan ? Comment me percevra ce Saoudien me remerciant de lui avoir sauvé la vie lors d’un incident de plongée en Floride en 2038 quand il découvrira mon inclination pour le vin blanc bien frais et le porto ? Pourquoi déchoir un être humain de sa « perfection » dans mon imagination, juste à cause d’une habitude malsaine ? De quel droit m’autorisé-je de juger ainsi les gens ? C’est son droit de fumer après tout. Cela ne me regarde pas et ne change strictement rien à l’excellence de son jeu d’actrice. J’essaie de me rassurer en imputant la faute à mon ignorance. Si j’avais su dès le début qu’elle fumait peut-être aurais-je même été moins choqué par son apparence.
Comment réagirais-je si j’apprenais que Blanche Gardin —mon humoriste préférée du moment— votait pour l’extrême-droite ? Hypothèse peu probable car la propension à l’introspection ou la capacité à rire de soi-même ne sont probablement pas les premières qualités que l’on prête à la gent extrémiste. Et si Blanche chassait les grands fauves en Afrique avec une arbalète pour le fun ? Cela diminuerait-il mon appréciation de son humour ? Mon appréciation de la femme, peut-être, mais pas celle de l’artiste, j’espère.
Voilà ! En couchant par écrit le fruit de ma flagellation, l’onde de choc du coup de marteau s’est résorbée. Mais j’ai l’impression qu’il me reste encore beaucoup de progrès à faire si je veux continuer à cultiver mon objectivité.
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