Traduction : La sentinelle
par Fredric Brown (1906-1972)
Il était mouillé et boueux, il avait faim et froid et il se trouvait à cinquante mille années-lumière de chez lui.
Un étrange soleil bleuâtre offrait sa lumière, et la pesanteur deux fois plus intense que celle à laquelle il était habitué rendait chaque mouvement difficile.
Mais, durant des dizaines de milliers d’années, cet aspect de la guerre n’avait pas changé. D’abord, des pilotes avec leurs vaisseaux élégants et leurs armes sophistiquées. Et puis, en fin de compte, on avait toujours besoin de fantassins, de l’infanterie, pour prendre pied sur le sol et conquérir un misérable secteur après l’autre. Comme sur cette satanée planète orbitant autour d’une étoile dont il n’avait jamais entendu parler avant d’y être cantonné. Et maintenant, c’était devenu un sol sacré car les aliens eux aussi s’y trouvaient. Les aliens, la seule autre race intelligente de la galaxie … des monstres cruels, hideux et répugnants.
Un contact avait été établi avec eux près du centre de la galaxie, après la lente et difficile colonisation d’une douzaine de milliers de planètes. La guerre fut immédiate : ils tiraient sans essayer de négocier ou de faire la paix.
Maintenant, planète après planète, on continuait âprement à se battre.
Il était mouillé et boueux, il avait faim et froid et le jour se levait avec un vent qui lui fouettait les yeux. Mais les aliens essayaient de s’infiltrer et chaque sentinelle en poste était vitale.
Il guettait, l’arme prête. À cinquante années-lumière de son domicile, combattant dans un monde étrange, il se demandait s’il vivrait assez longtemps pour rentrer un jour chez lui.
Et soudain, il vit l’un d’entre eux ramper vers lui. Il visa et fit feu. L’alien émit ces étranges sons dégoûtants qu’ils font tous, puis s’immobilisa sur le sol.
Le bruit de ces râles et la vue de cet alien gisant là le firent frissonner. Il devrait s’y être habitué, mais il n’en serait jamais capable. Il s’agissait de créatures si répugnantes, avec seulement deux bras, deux jambes et une horrible peau blanchâtre sans écailles.
(Traduit par Jean-Philippe Lembeye – www.lembeye.fr)