Notes  sur les nouvelles du recueil, à l’usage des écrivants

Attention ! Ne lisez pas ceci si vous n’avez pas lu le livre, car ces explications pourraient vous priver de certaines surprises lors de la lecture.

« J’espère que ces notes hâtives que je viens de dicter n’épuiseront pas l’intérêt de ce livre et que les rêves qu’il contient continueront à se propager dans l’hospitalière imagination de ceux qui en cet instant le referment ». Jorge Luis Borges

« Mais où vas-tu chercher tout ça ? »

Souvent, certaines personnes me demandent où je trouve toutes ces idées qui foisonnent dans mes nouvelles. Les quelques notes ci-dessous sont destinées à celles et ceux qui souhaitent se lancer dans l’aventure de l’écriture. Rares sont les auteurs comme Borges indiquant les sources de leurs inspirations ou donnant quelques indications à la fin de leur recueil. Dans ces notes je relate certaines de mes intentions (car l’écriture permet d’exprimer sa philosophie personnelle) et quelques techniques et suggestions permettant de stimuler la créativité ainsi que quelques recommandations diverses à l’usage des écrivants.

 


Le secret de l’univers

Un des principes majeurs de la nouvelle à chute est la création d’un vide qui va aspirer l’imagination du lectorat. La lectrice comble ce gouffre elle-même. Le lecteur y projette ses présupposés. L’asexuation du protagoniste est ici délibérée.  Il peut s’agir d’un homme ou d’une femme ; il n’y a aucune indication. J’avais pris grand soin de tourner certaines phrases de manière à ne pas avoir à accorder le genre afin de conserver le caractère asexué du/de la tutoyé(e). Ce genre d’accident pouvant affecter n’importe quel drogué, homme ou femme, la précision du sexe m’apparaissait inopportune. Pourtant, dans la plupart des cas, un sexe lui aura été attribué automatiquement, de manière plus ou moins consciente. Ici, le piège est pratiquement invisible (à part la mention d’entités androgynes ou du jeu « Il ou elle ? ») et n’est pas constitutif de la chute.


 

Devine qui vient dîner

Mon intention était d’illustrer une citation d’un de mes philosophes favoris : « Nous avons tous notre propre manière de percevoir le monde. Cela peut parfois nous induire à résister de manière irrationnelle à des vérités contraires à notre vision. C’est pour cela qu’il est essentiel d’être capable de reconnaître ce qui est avantageux pour nous de croire et de nous assurer que la commodité d’une croyance ne soit pas la raison pour laquelle nous y adhérons ». Julian Baggini, Herald Scotland, 09/09/2008.

Près d’un demi-siècle après le film « Guess who’s coming to dinner » avec Sydney Poitier, les mentalités évoluent, mais les discriminations changent en fonction de l’orientation de nos œillères. J’ai choisi d’inverser ici certaines valeurs. Roméo Montaigu et Juliette Capulet deviennent Julien Capouet et Romina Montargis. Les parents écolos, « gentils » traditionnels, se métamorphosent en “méchants”, car en pêchant par excès, leurs œillères se rabattent complètement. Ils deviennent aveugles et incapables de relativiser.


Rituel territorial d’un primate supérieur 

Je suis fan de Desmond Morris dont les livres analysent les comportements humains sous l’œil du zoologue.

L’homosexualité est acceptée dans les pays souscrivant à l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais elle est passible d’une condamnation à mort dans d’autres pays où il n’y a qu’une et une seule norme possible. D’où l’énumération de destinations farfelues au début.

Certains individus ayant évolué dans des milieux rigides ou intellectuellement défavorisés vivent dans l’illusion d’être absolument certain d’avoir raison™. Cette étroitesse d’esprit peut déboucher sur l’orgueil et engendre des préjugés et une représentation inadéquate de la réalité, d’où l’allusion récurrente en arrière-plan au titre du roman de Jane Austen.

En ce qui concerne la chute, je ne cache pas mon intention de surprendre en endormant la vigilance de mon lectorat par certains leurres donnant à la voix narrataire une inflexion féminine (blondeur de ma chevelure, mannequin photogénique, pas de femme dans sa vie).

 


Les voyantes ont toujours raison

« Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. » Baudelaire

Écrire avec un pistolet braqué sur la tempe afin de vaincre l’angoisse de la page blanche n’est pas forcément efficace pour tout le monde. Pour les écrivants souhaitant se soumettre à l’expérience de l’écriture avec contrainte, voici une recette parmi tant d’autres :

Demandez à vos connaissances de vous donner une liste de 10 mots choisis au hasard. Prenez la première liste reçue et écrivez une nouvelle contenant ces mots, si possible dans l’ordre. Un ami d’Australie fut le premier à me répondre par courriel : pied, orange, perle, biscuit, Churchill, Turquie, aviation, multiculturel, mini-série, chapeaux.

J’ai préféré chapeau au singulier par pure paresse. Lors de la révision finale de mon tapuscrit, j’ai choisi de remplacer compagnie d’aviation par compagnie aérienne. Les deux premiers mots de la liste ont disparu lors de l’écrémage de la version finale (V2 = V1 – 10% dixit Stephen King). Afin de corser la difficulté, j’ai choisi de saupoudrer de phrases de La Fontaine traînant encore dans ma mémoire d’écolier. Phrases adaptées ou imitations sonores approximatives (« car vous n’épargnez guère, vouspour héberger tous vos biens»). D’où l’aspect quelque peu déjanté du récit.


 

Exégèse d’un poème flash

Je suis horrifié de voir la facilité avec laquelle certains individus trouvent midi à leur porte. N’importe qui prétendument investi d’une autorité quelconque semble avoir le droit d’interpréter à sa manière n’importe quel recueil de textes mythologiques, spirituels ou philosophiques tout en trahissant l’intention originelle du texte.

Peut-on trouver cela acceptable ? Comment doit-on exprimer son indignation ? Est-il permis de ridiculiser ce genre de vandalisme intellectuel ?

Comme l’a volontairement démontré Alan Sokal, n’importe quel pseudo-érudit peut piéger un groupe d’intellectuels appréciatifs, à condition d’utiliser un langage abstrus ou sibyllin.

 


Gouvernement et lois universelles

Français inpatrié dans un petit pays complexe, riche d’un multiculturalisme engendrant certains paradoxes, l’idée m’est naturellement venue d’inventer une nation semi-imaginaire où seraient amalgamées les pires stratégies politiques du monde.

Pour des raisons de cohérence, il est parfois utile de réaliser un plan ou un croquis du lieu où se déroule l’action d’une nouvelle. Dans le cas de pièces ou de maisons, il semble logique d’orienter son choix vers des lieux existant réellement. Pour la carte du Costa Pobre, j’ai  laissé libre cours à mon imagination, ce qui m’a facilité la visualisation du pays ainsi que sa description.

 

 


Gifle ultime

Ce texte est la première nouvelle que j’aie écrite. Il s’agit d’un exutoire par rapport à un épisode personnel. Suite à une discussion philosophique (non-violente) sur le thème évoqué où nos points de vue divergeaient, un ami m’a annoncé par lettre quelques semaines plus tard que notre amitié devait prendre fin. Pour celles et ceux n’ayant pas comme moi développé une dépendance pathologique à Google, le nom étrange du docteur Lepore-Smyth était une allusion indirecte à l’aspect thérapeutique de l’écriture (The Writing Cure: How Expressive Writing Promotes Health and Emotional Well-Being, by Stephen J. Lepore, PhD and Joshua M. Smyth, PhD).


Le kangourou accordéoniste

Je suis toujours touché quand je lis dans la presse l’histoire de retrouvailles de membres d’une famille séparés depuis plusieurs décennies. Surtout lorsqu’il s’agit de la relation parent/enfant. Ce thème d’inspiration est donc très subjectif et personnel. De Rabindranath Tagore, je recommande le recueil de nouvelles « Le vagabond et autres histoires« .


 ARE YOU BONO (U2)

Ma première lectrice est fan du groupe U2 et apprécie l’engagement humanitaire de Bono, son charismatique chanteur. J’avais décidé de lui rendre hommage en imaginant une nouvelle sur ce thème, mais mon intérêt pour la zoologie semble avoir repris le dessus. Il est délicat d’intervenir quand certains protagonistes sortis d’on ne sait où, échappent à mon emprise et ont une vie propre. D’écrivant, je deviens spectateur et la nouvelle prend parfois une tournure différente par rapport à l’intention initiale.

 


Aspiré par le vide

Certaines personnes ne se rendent pas compte qu’elles créent le vide autour d’elles, de par leur comportement inapproprié. Un texte expérimental, très risqué, mais qui s’imagine quand même être une nouvelle. Je conçois que la forme puisse déplaire, mais vu l’enthousiasme de certaines réactions dans mon premier cercle de commentateurs/trices j’ai néanmoins décidé de l’inclure dans ce recueil.


 

Mission impossible – épisode final

La phrase « Est-ce que ce monde est sérieux ? » est extraite de la chanson « La corrida » de Francis Cabrel. Cette nouvelle est logiquement dédiée à Chantal qui de retour de vacances au Yémen a enflammé mon imagination avec une remarque très pertinente. “Les Yéménites sont bombardés de vidéo-clips américains, partout, dans les cafés et à la télé chez eux. Pas étonnant qu’ils aient une perception complètement faussée sur la mentalité des femmes occidentales ! ” Sous-entendu, ce sont des filles faciles et elles ne pensent qu’à ça.

Réminiscence d’une adolescence téléphage où je n’aurais manqué sous aucun prétexte un épisode de Mission Impossible, l’idée d’une dernière mission loufoque ayant pour thème l’image de l’Amérique s’est imposée à moi en quelques minutes suite à la réflexion de Chantal. Mon intention n’était pas ici d’écrire une diatribe contre l’Amérique. J’ai une profonde admiration pour la culture anglo-saxonne et en particulier pour les Américains dont j’apprécie plusieurs valeurs, notamment leur pragmatisme efficace (l’Europe gagnerait à s’en inspirer davantage dans certains domaines). J’ai juste adopté une attitude taquine vis-à-vis de certains de leurs points faibles notoires.


48 secondes de la vie d’un ours

Récit basé sur un épisode personnel (2008). À deux détails près tout est vrai :

Ayant constaté lors d’acrobaties ratées que les chocs reçus sur les testicules étaient très douloureux, j’ai toujours porté une coquille protectrice pendant mes entrainements de karaté, en effet. Mais c’était pendant mon adolescence. Je n’ai plus pratiqué ce sport étant adulte.

Le livre que je lisais était en fait un recueil de nouvelles de Dino Buzzati. De Stefan Zweig, je recommande Le joueur d’échecs et bien sûr 24 heures de la vie d’une femme, mais surtout la courte nouvelle intitulée « Un mariage à Lyon ».


 Une carte postale du Mali

Quatre sources d’inspiration :

1) Le cas réel lu dans la presse il y a très longtemps, d’une femme qui avait choisi de refuser un traitement salvateur, mais dangereux pour le fœtus, afin d’éviter que son enfant naisse avec une malformation. Elle est morte quelque temps après avoir accouché. Ce drame avait suscité en moi une intense réflexion philosophique/éthique.

2) J’avais beaucoup apprécié l’inversion chronologique dans la pièce d’Harold Pinter « Trahisons » et l’idée d’écrire une nouvelle à rebours m’avait attiré. L’inversion chronologique naturelle dans une succession de courriels s’est aisément imposée à moi avant d’imaginer la trame d’une histoire.

3) A Venise sur le Lido, je recommande la trattoria Africa. Nous y avons mangé à deux reprises. Si vous voyez le patron, merci de lui demander pourquoi il a nommé son restaurant ainsi et de m’en aviser par courriel.

4) Près de la place Saint-Marc, trois armatures de flèches en silex en provenance du Mali avaient attiré mon attention dans la devanture d’un magasin d’antiquité.

J’ai imaginé un lien possible entre les points 3 et 4 qui expliquerait l’étrange nom de cette trattoria. Les points 2 et 1 qui traînaient au fond de ma mémoire s’y sont liés rapidement et l’histoire m’est clairement apparue. J’ai ouvert un compte mail sur Yahoo Canada et sur un site russe. Puis j’ai procédé à l’échange de courriels comme il se serait déroulé dans la réalité. J’ai modifié les dates, car le mois d’octobre me semblait facile à reconnaître en russe.


 

Corruption policière

Basé sur des faits réels. En juillet 2008 à Geleen aux Pays-Bas, la police a été contactée par un agent de sécurité suite à un bruit suspect dans un magasin. 6 patrouilles de police ont encerclé le magasin. Les employés avaient oublié d’arrêter une vidéo diffusant en boucle une publicité pour une perceuse.

Je suis assez friand de la section « Insolite » sur les sites d’information online, car j’y trouve fréquemment des histoires enflammant mon imagination.


Rendez-vous

Certaines personnes sont incapables de prendre du recul face à un mode de vie absurde en totale inadéquation avec leurs aspirations profondes. Dans des cas d’obstination extrême, seul un choc, un accident, un événement tragique peuvent les aider à ouvrir les yeux. J’ai volontairement choisi un scénario hautement improbable pour illustrer ce genre de masochisme fort répandu en Occident sous diverses formes et à différents degrés à travers certains modes de vie. Dans le cas d’Isabelle, il s’agit d’une situation caricaturée au maximum : ses parents sont à la retraite, elle a des économies substantielles, elle n’a ni partenaire ni enfant. Elle n’a donc aucune excuse valide, d’un point de vue rationnel, pour ne pas se libérer. C’était son choix de rester prisonnière jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux et décide de réagir.

D’ailleurs charité bien ordonnée, commence par soi-même : ai-je réellement besoin de la totalité de mon salaire ? Dois-je vraiment travailler autant d’heures pour autant de confort ? Et si je prenais un congé parental ou une année sabbatique ? Et vous ?

 


Rachid

Un des principes de base de certaines histoires à chute est très simple : on se rend compte juste à la fin que le protagoniste ou le narrateur n’est pas exactement comme on l’a imaginé. La relecture se fait parfois sous un angle différent quand on remarque certains indices semés (ici : siffler avec la langue seulement, coco, poids plume, phrases répétées trois fois, Gabonais, petite tête).

 


Métamorphose du loup des steppes

Décrire une photo. Un exercice d’écriture classique. Tout écrivant devrait s’y essayer tôt ou tard. Je m’y suis soumis de bonne grâce, car le choix de la photo était évident puisque tout ici est vrai, tel un écho à la citation d’Aragon page 5. En ce qui concerne Le loup des steppes il s’agissait d’une allusion à l’un de mes auteurs favoris, Hermann Hesse, et à l’un de ses romans « le moins bien compris », selon lui.