Textes courts

LE SECRET DE L’HOMME D’AFFAIRES (Très court conte philosophique)

Un puissant arôme de mûres enveloppe les deux hommes attablés dans le café d’un hôtel cinq étoiles. Richard Kopf un jeune journaliste interviewe avec une certaine excitation Günther Moutick, riche homme d’affaires autrichien. L’entretien touche presque à sa fin.

– Monsieur Moutick, beaucoup vantent votre charisme, et les contrats que vous concluez font souvent la Une de journaux avides de raconter vos exploits. Quel est votre secret pour avoir autant de succès.

– Jeune homme, vous ne voyez que la partie émergée de l’iceberg.

– Mais si je vous donnais 50 euros, me diriez-vous votre secret ?

Günther sourit.

Le journaliste sort un billet de son portefeuille et le pose sur la table.

Günther regarde Richard Kopf, puis le billet. Il prend sa tasse de thé aux fruits bleus et en boit une gorgée.

– 100 euros ! surenchérit le jeune excité en posant un deuxième billet sur la table.

L’homme d’affaires, prend une deuxième gorgée, ferme les yeux et savoure le goût des myrtilles et des mûres.

– OK ! Je veux bien aller jusqu’à 200 euros

Moutick regarde Kopf en souriant, l’air amusé. Ce dernier ouvre son portefeuille et en extrait tous les billets et les pose sur la table.

– Regardez ! Il y a en tout 440 euros. Je n’ai rien d’autre. Quel est votre secret s’il vous plaît ?

– D’accord, répond l’homme d’affaires. Il se lève, enfile son imperméable, le boutonne et met les mains dans ses poches. Il se penche vers le journaliste et lui dit :

– Considérez les billets qui se sont amassés progressivement sur cette table ; ne semblent-ils pas valider une de mes règles préférées ?

– Laquelle ? s’exclame le journaliste, déglutissant nerveusement, se sentant proche de son but.

– Il y a de la magie dans une bouche qui sait rester fermée au bon moment, répond Günther Moutick avant de s’éloigner.


. . . . . qu’est la littérature interactive ?

Une singulière coïncidence : hier, j’ai envoyé un courriel à une de mes élèves pour lui demander son avis. J’avais besoin d’un point de vue féminin pour vérifier si la définition qui m’était venue à l’esprit n’était pas trop machiste : «Une nouvelle à chute doit offrir le même niveau d’attraction que la jupe d’une Anglaise ou le kilt d’un Écossais : une longueur décente permettant de couvrir le sujet avec élégance, mais suffisamment courte afin de capturer l’attention tout en induisant une rêverie subjective».

Et maintenant, un gros bouquin bizarre qui m’interpelle dans cette boutique où je me suis réfugié en attendant que la pluie se calme.

Le titre de l’ouvrage m’intrigue : «Toute lectrice est un prunier qu’il faut secouer, tout lecteur est un punching-ball qu’il faut frapper par surprise». Hypnotisé, je me demande si je vais pouvoir raffiner ma définition de la veille. Quelle aubaine ! Je m’approche de l’étagère afin de saisir le livre d’occasion. Il a la taille d’un dictionnaire.

À peine l’ai-je ouvert, qu’une main gantée en surgit tel un diable en boîte et me frappe le menton avec une force étonnante. Sous l’impact du choc, je lâche le livre et m’écroule sur le carrelage. Une vendeuse en mini-jupe vient vers moi, le sourire aux lèvres. « Ce n’est pas grave, cela arrive à tout le monde, et de toute manière, le livre était déjà bien abîmé ».

Elle m’aide à me relever et, telle une béquille humaine, m’escorte en me soutenant jusqu’à la sortie de cet étrange magasin de farces et attrapes. . . . .


 Que regrettez-vous du temps jadis ?

Chamonix, le 2 avril 2050

Ma femme a toujours été une productrice de lait exemplaire.

Elle n’a jamais manifesté au volant d’un tracteur, ni créé délibérément de problème de circulation pour mieux vociférer. Si l’on fait abstraction de quelques régurgitations irrécupérables de nos enfants, aucune goutte de son lait n’a jamais été jetée ni gaspillée. Quant aux quotas de production, elle s’en moquait comme de son premier soutien-gorge.

Il faut dire que cela se passait au début du XXIe siècle, bien avant que les politiciens et les économistes ne fourrent leur nez poilu dans les mamelles gonflées de sève nourricière des masses laborieuses. En ces temps-là, l’allaitement maternel était libre et non-régulé. Personne n’aurait songé à vendre du lait humain sur l’internet, ni même à s’en servir pour créer un « Roquefort du Sexe Faible ». Les amendes et les amputations mammaires liées à la surproduction n’existaient pas.

Parfois, quand je visionne en cachette un vieux film en deux dimensions de cette époque, d’étranges sensations proches de la nostalgie s’emparent de moi.

Et vous que regrettez-vous du temps jadis ?