Enfonçons des épées dans la chatte des écolières (ou l’épineux problème de la liberté d’expression dans le rap et la potentielle rédemption d’Orelsan). 

Pardonnez ce titre racoleur, mais, voyez-vous j’ai été INITIALEMENT très choqué qu’une institution médiatisée comme les Victoires de la musique encourage en le récompensant un Artiste empêtré dans l’apologie du viol et des violences envers les femmes. Bien sûr, le rap est un art, et la liberté d’expression est sacrée ; néanmoins, le vieux schnock que je suis ne peut s’empêcher de se poser certaines questions relatives aux limites autorisées dans le domaine artistique.

Le rappeur Orelsan a chanté « Mais ferme ta gueule ou tu vas te faire marie-trintigner » (Saint-Valentin, 2006) ou « T’es juste bonne à te faire péter le rectum, … On verra comment tu fais la belle avec une jambe cassée / On verra comment tu suces quand j’te déboiterai la mâchoire / T’es juste une truie tu mérites ta place à l’abattoir … J’rêve de la pénétrer pour lui déchirer l’abdomen … J’vais te mettre en cloque (sale pute) / Et t’avorter à l’Opinel™ » (Sale pute, 2009). Il est récompensé entre autres par la Victoire du meilleur clip dans lequel il semble annoncer d’emblée le respect qu’il voue à son audience « Parce que vous êtes trop cons ! » (Basique, 2017). Je me demande parfois si je suis trop largué ou si j’ai glissé dans un univers parallèle.

Je comprends que des dizaines de milliers de voix s’élèvent, signent des pétitions et demandent au Ministre de la Culture l’annulation ou la restitution de ces trois Victoires de la musique, durement gagnées à la sueur de la vulgarité. Eh Papy, tu jures comme un Russe saoul quand tu te coupes avec une enveloppe, et tu parles de vulgarité ?

Orelsan aurait été cité hors contexte. Il a été condamné par la justice. Il a fait son buzz et il l’a payé. Il s’est excusé, enfin presque (« J’ai dit que je m’excusais si la chanson avait pu choquer plusieurs personnes qu’ont pas voulu la voir ; et qu’est-ce qu’ils ont titré dans les journaux ? « Orelsan s’excuse » … or je ne me suis pas excusé d’avoir fait cette chanson ». 2012).

Quand le Pape annonce à ses fans que le préservatif aggrave le problème du SIDA (Monde réel, 2009), peut-on objectivement évaluer dans l’Afrique sub-saharienne, par exemple, le nombre de morts causées directement ou indirectement par de tels propos ? Bien sûr que non ! Car lui aussi « aurait été cité hors contexte™ » !

Le message des tireurs de ficelles des Victoires de la musique semble donc concerner le pardon et la rédemption. Pourquoi pas ? Le temps aidant, pourquoi ne pas pardonner à ceux qui incitent directement ou non à des comportements dangereux, à la haine, aux violences, voire à l’extermination des Juifs, pendant qu’on y est ? Pourquoi ne pas réhabiliter Adolf Amadeus Hitler ? Sa suggestion de tuer des millions de Juifs est toujours mal perçue par la vaste majorité bien-pensante contemporaine. Et heureusement d’ailleurs, sinon, cela signifierait que l’Histoire enseigne que l’Histoire n’enseigne rien. Mais les faits remontent au millénaire précédent. D’ailleurs, même si au sens figuré feu Hitler a du sang sur les mains, en a-t-il vraiment eu au sens propre ? Si cela se trouve, non, à l’instar de Charles Manson. Il a fait des suggestions ou donné des ordres, OK. Mais c’est surtout la manière dont ses paroles ont été interprétées qui cause problème, exactement comme pour les paroles de certaines chansons. L’oncle Adolf a-t-il jamais craché sur un Juif ou sur le petit Jésus ou tout autre Juif crucifié ? Avons-nous seulement des preuves ? Pareil pour Staline et son désir de purification d’un entourage politique subjectivement problématique. Ses posters de propagande n’inclinent pas à penser qu’il soit si méchant que ça. D’ailleurs, ne purgeons-nous pas nous aussi nos radiateurs de temps en temps ? Que celui qui n’a jamais purgé son chat lui jette le premier vermifuge. Quant à Pol Pot, il est aisé d’imaginer qu’au moins un journaliste subjectif l’aura cité hors contexte. Et comme le dit si bien l’avocat de Marc Dutroux, une punition n’a de sens que si elle a une fin.

Dans nos sociétés judéo-chrétiennes, le pardon, petit ou grand, fait partie des traditions. Alors pourquoi pas Adolf, Benito XVI, Staline, Orelsan ou carrément Ubu  pour les accros de l’acrostiche ? Qui absoudre ? Plouf plouf ; ça-se-ra-toi-que-je-par-don-ne-rai. And the winner is : Orelsan. Pourquoi pas en effet ? Eh Papy, mais t’es teubé ou quoi ? Tu lui niques la tête à Orelsan et maintenant tu lui fais la teuf ?  C’est l’un des buts de l’écriture, jeune scarabée : on couche par écrit son ressenti et puis quand on est libéré de ses émotions, la raison refait surface au fil des mots.

Je conçois trois raisons de prophétiser la possible rédemption d’Orelsan.

Premièrement, peut-être parce qu’Orelsan n’a pas vraiment de sang sur les mains. Pas directement, en tout cas. En plus, c’est un Artiste et son art est donc couvert par une certaine immunité diplomagique anti-liberticide. C’est le consensus. Hitler avait étudié la peinture, mais ses camps de concentration n’avaient rien d’artistique. Donc, dans le cas de « Sale pute », ne pourrait-on pas parler d’erreur de jeunesse, par exemple ?

Deuxièmement, il ne semble plus chanter certaines chansons. « Sale pute » n’a pas été chantée en concert et ne figurait pas sur l’album. Donc, si l’on fait fi de la disponibilité du clip sur Youtube, on peut parler sans trop en rire d’un souci conscient de ne pas trop choquer. Dans certains cas on pourrait dire « La caque sent toujours le hareng » comme pour certains partis politiques nauséabonds essayant de faire peau neuve. Mais ce proverbe peut-il vraiment s’appliquer en votre âme et conscience à Orelsan en 2018 Mesdames et Messieurs les jurés ? Ses Victoires ne récompensent pas les chansons infamantes de la décennie précédente mais son album de 2017, plus mature, plus modéré. Et tout compte fait, un Artiste critiquant le racisme et deux tendances politiques dans le même clip ne peut pas être foncièrement mauvais !

Troisièmement, pour les mêmes raisons qu’il serait stupide de refuser d’étudier Heidegger sous prétexte que ce philosophe aurait trinqué avec les Nazis  ; ou pour un étudiant en art de refuser d’étudier le rap ; ou pour un chercheur d’or de jeter la boue d’une rivière. Doit-on jeter le bébé avec l’eau du bain ? Certaines des idées apolitiques d’Heidegger pourraient être intéressantes à étudier en toute objectivité. Et si j’étais honnête avec moi-même, en suivant ce parallèle, j’admettrais discrètement que « Basique » le clip récompensé d’Orelsan n’est pas si désagréable que ça à regarder deux ou trois fois d’affilé.

Je pose donc la question de savoir si oui ou non, il pourrait y avoir prescription pour les crimes verbaux « d’incitation au viol » ou semblant faire l’apologie des violences envers quiconque (surtout quand les paroles sont décontextualisées) ? Les effets secondaires sont-ils éphémères ou perdurent-ils dans le temps ? Je sais que les avis sont partagés et je ne voudrais pas trop donner l’impression de m’amuser à semer le doute afin de vous contraindre à vous forger une opinion par vous-même, mais l’idéologie nazie pourrait-elle vraiment influencer en 2018 aux USA un blanc suprémaciste ? Peut-être. Par contre, l’idéologie aztèque sévit-elle encore au Mexique au point d’y sacrifier des vierges sur des pyramides ruisselantes d’hémoglobine ? Bien sûr que non ! Car le passé est, a été, et sera toujours le passé ! Dans la plupart des cas.

Et je pose également la question de la responsabilité morale. N’y aurait-il pas, d’un point de vue éthique, une différence entre les sornettes débitées par un accoudé sur le zinc et celles énoncées par des individus adulés exerçant une influence non négligeable sur les masses populaires ? Et cette question vaut pour un rappeur, un leader religieux ou politique mais aussi pour une habile bimbo mercantile notoirement dotée d’intéressants attributs supposés galactophores faisant de la publicité afin d’encourager l’investissement dans le bitcoin. N’oublions pas que la leçon N° 1 des réseaux sociaux suggère clairement que de nombreux individus peuvent avaler n’importe quelle couleuvre sans se soucier de l’évaluer à l’aune de leur esprit critique.

Serait-il possible d’encadrer légalement de telles aberrations ? On peut par exemple, réprimander une publicité mensongère ou expulser un imam fanatisé interprétant certains passages du Coran au premier degré en demandant à ses fidèles de prendre cela pour parole d’évangile, c’est-à-dire sans exercer leur jugement objectif. Mais c’est beaucoup plus délicat dans le domaine artistique car si l’on chatouille le liberticide, le spectre éhonté de la censure s’abattra à nos pieds.

Ou bien, doit-on se résigner en silence et conjecturer une dystopie future où le lourd appareil législatif raterait le dernier train comme ce fut le cas en 2028 lors de la libération du rappeur multimillionnaire Marc Dutroux ? Sa chanson sur les oiseaux avait fait un buzz d’enfer et enflammé les réseaux sociaux qui avaient été les témoins (et les acteurs) de joutes écrites d’une rare violence entre les défenseurs avant-gardistes de « l’art pour l’art » et ceux de l’ancienne école du « politiquement correct ». À l’instar d’un Charles Manson noyé sous un flot constant de courrier d’admirateurs, des dizaines de milliers d’individus en liberté ont acheté l’album de l’Artiste Dutroux. Bien sûr, des millions de voix se sont élevées contre certains passages tendancieux de ses chansons « Enfonçons des épées dans la chatte des écolières / éventrons-les jusqu’au thorax / découpons-les en rondelles / afin de nourrir nos amis les moineaux / aidons-les à survivre aux rigueurs de l’hiver » (Les piafs, 2028). Mais ses chansons courent toujours sur les ondes et ses vidéo-clips sanguinaires affolent les compteurs sur Youtube où ils sont utilisés comme vomitifs naturels par certains végans allergiques aux médicaments. Mais que peut-on y faire ? C’est la loi, et elle est la même pour tous les Artistes.

Je ne puis m’empêcher de poser la question de savoir jusqu’où certains Artistes seront capables d’aller. Y a‑t‑il oui ou non une limite pour nos consciences et pour notre société ? Et si oui, comment la définir le plus équitablement possible ?

© Jean-Philippe Lembeye, XXIe siècle – www.lembeye.fr

Avertissement : si le moindre fauteur de trouble s’amuse à interpréter tout ou une partie de cet article au premier degré, ou s’il me cite hors contexte en se vantant publiquement d’avoir échoué à me lire entre les lignes, j’le décapite à l’Opinel™. Eh, Papy, mais tu parles comme les djeuns maintenant !